Les propositions (résumés accompagnés de mots-clés et d’une bibliographie et d’une mini-biographie de l’auteur), en français ou en anglais, pourront être envoyées à Isabelle Guinamard, Weiwei Guo-Gripay et Marie Laureillard jusqu’au 15 juillet 2021.
En 1970, lorsque Simone de Beauvoir publie son monumental essai La vieillesse, 12% de la population française a plus de 65 ans, la plus forte proportion au monde à l’époque, et la catégorie « vieux » est floue et niée par la société. De l’autre côté du continent eurasien, la Chine met en place des mesures de restriction des naissances et l’espérance de vie atteint tout juste 60 ans. Un demi-siècle plus tard, le vieillissement de la population française se poursuit. Les personnes âgées de 65 ans et plus représentent 19,6 % de la population, et une nouvelle génération de centenaires émerge. La Chine connaît la même transition démographique, mais à un rythme accéléré. Dans les deux pays, la vieillesse et le vieillissement sont scrutés par les spécialistes sous tous les aspects : biologique, psychologique, économique, politique, sociologique… Notre projet vise à aborder le sujet avec un regard distancié et approfondi : l’expression et la représentation de la vieillesse dans les langues, la littérature et les arts visuels, ainsi que leur évolution.
La représentation de la vieillesse varie selon l’époque et la culture. En Occident, jusqu’au XVIIe siècle, les images de la vieillesse sont marquées par le pessimisme : les facultés physiologiques du vieillard sont réduites et affaiblies. Il est dépendant de ses proches. Dans les pièces de Molière, les vieux sont surtout avares et ridicules. Le ton commence à changer avec les Lumières. La bienveillance et la tendresse à l’égard de la vieillesse s’expriment en littérature. L’âge avancé est plus souvent associé à la sagesse : « elle est un acquis spirituel des plus précieux, le terme harmonieux et la finalité accomplie d’une plénitude » (Montandon, 2004, p. 6) De nos jours, la place des personnes âgées a encore évolué : l’autonomie devient un sujet important de la société, et on prône une vieillesse active et consommatrice, alors que le phénomène de l’âgisme, cette forme particulière de discrimination envers les personnes âgées, a considérablement diminué (Bizzini, 2017). Néanmoins, ce tableau d’un âge d’or ne peut entièrement occulter une forme de rejet, ou plutôt de peur de cette dernière phase de la vie. La médecine s’efforce de repousser l’âge de la vieillesse et la chirurgie esthétique tente à tout prix d’en masquer tous les signes.
En Chine, au contraire, les personnes âgées sont traditionnellement vénérées, conformément à la pensée confucéenne qui considère la piété filiale comme une vertu cardinale. Le respect des aînés est un gage de bonne conduite. La longévité est recherchée selon les principes taoïstes grâce à la méditation, au contrôle du souffle, au mode de vie, à la pratique de la musique, de la peinture ou des échecs. Cependant, face à l’impact économique et sociétal du vieillissement rapide de la population, ces valeurs, si profondément ancrées dans les mentalités, semblent évoluer. Les foyers composés de trois ou quatre générations sous le même toit se font plus rares. Certaines personnes âgées vivant à la campagne se retrouvent presque abandonnées, oubliées, malgré leurs sacrifices pour la famille et la société, comme en témoigne un ouvrage récent, Le nid vide : je suis seul au monde (空巢:我在这世上太孤独) de Yi Zhou 弋舟 (2020).
Nous absorbons les impressions, les idées, les images et les sons qui expriment les valeurs dominantes d’une société et conditionnent à leur tour nos pensées. Les mots et les expressions, reflets de nos représentations sociales, culturelles et psychologiques, sont les meilleurs témoins de ces évolutions : en 1985, en France le mot « vieux » est remplacé par « personne âgée » dans les textes de loi, qui, à leur tour, sont appelés à laisser place aux termes « aîné » ou « senior » selon les recommandations des professionnels de soins gérontologiques (Les mots du bien vieillir de la Fondation Korian). En chinois, à côté de « 尊老 » « 敬老 » (respecter les aînés), sont apparues des expressions comme « 啃老 » (littéralement « rongeur des vieux », désigne les adultes dépendant de leurs parents sur le plan financier), qui reflètent une toute nouvelle réalité économique et sociétale.
Les personnes âgées sont également présentes sous forme littéraire ou cinématographique. Leurs portraits, au premier plan ou discrets, souvent ambivalents, reflètent le regard de la société sur cet âge de la vie ainsi que les préoccupations, les changements de point de vue et la prise de conscience de la temporalité et de la finitude qu’il entraîne (pour la Chine, voir http://www.chinese-shortstories.com et http://www.chinesemovies.com.fr).
L’objet de cet appel à contribution est d’analyser les représentations discursives, médiatiques, littéraires et cinématographiques de la vieillesse aujourd’hui ou dans un passé proche ou lointain en vue de la publication d’un ouvrage collectif aux éditions Peter Lang. Les études pourront se concentrer sur le monde sinophone, la France ou adopter une approche comparative. On pourra s’attacher par exemple aux notions de filiation, d’intergénérationnel, de mémoire et de care.
Comité scientifique / Scientific Committee :
– Martine Boyer-Weinmann
– Vincent Caradec
– Corrado Neri
– Luisa Prudentino
– Isabelle Thireau
– Wu Ming
– Zhang Xiaoyi
– Zheng Tuyou
Indicative bibliography / Bibliographie indicative
Adler, Laure, La voyageuse de nuit, Paris, Grasset, 2020
Albou, Philippe, L’image des personnes âgées à travers l’histoire, 2002
Attané, Isabelle, La Chine à bout de souffle, Paris, Fayard, 2016
Attané, Isabelle, Au pays des enfants rares, Paris, Fayard, 2011
Beauvoir, Simone de, La vieillesse, Paris, Gallimard, 1970
Bizzini, Lucio, « L’âgisme : une forme de discrimination qui porte préjudice aux personnes âgées et prépare le terrain de la négligence et de la violence », Gérontologie et société 2007/4 (vol. 30 / n° 123), p. 263-278
Bois, Jean-Pierre, Histoire de la vieillesse, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1989
Bois, Jean-Pierre, Les vieux, de Montaigne aux premières retraites, Paris, Fayard, 2014
Boyer-Weinmann, Martine, Vieillir, dit-elle : Une anthropologie littéraire de l’âge, Ceysérieu, Champ Vallon, 2013
Caradec, Vincent, Sociologie de la vieillesse et du vieillissement, Paris, Armand Colin, 2015
Deschavanne, Éric et Pierre-Henri Tavoillot, Philosophie des âges de la vie. Pourquoi grandir ? Pourquoi vieillir ?, Paris, Grasset, 2007
Détambel, Régine, Le syndrome de Diogène : éloge des vieillesses, Arles, Actes Sud, 2007
Godelier, Maurice ; Jullien, François et al., Le grand âge de la vie, Paris, Presses Universitaires de France, 2005
Harper, Sarah, Aging Societies: Myths, Challenges and Opportunities, Londres, Hodder Arnold, 2005
Keiming, Rose K., Growing Old in a New China: Transitions in Elder Care, Rutgers University Press, 2021
Laughlin, Charles A., “Images of Aging and the Aesthetic of Actuality in Chinese Film: Reportage, Documentary, and the Art of the Real”, Modern Chinese Literature and Culture, Vol. 31, No. 2 (FALL, 2019), p. 207-248
Montandon, Alain (dir.), Écrire le vieillir, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2005
Montandon, Alain (dir.), Les mots du vieillir, Clermont-Ferrand, PU Blaise Pascal, 2004
Rochot, Justine, Bandes de vieux : une sociologie des espaces de socialisation de jeunes retraités en Chine urbaine contemporaine, thèse sous la direction d’Isabelle Thireau et Tania Angeloff, EHESS, 2019
Sauveur, Yannick, Les représentations médiatiques de la vieillesse dans la société française contemporaine : ambiguïtés des discours et réalités sociales, Université de Bourgogne, 2011
Silbergeld, Jerome, “Chinese Concepts of Old Age and Their Role in Chinese Painting, Painting Theory, and Criticism”, Art Journal, Vol. 46, No. 2, Old-Age Style (Summer, 1987), p. 103-114
Skagen, Margery Vibe (ed.), Cultural Histories of Ageing: Myths, Plots and Metaphors of the Senescent Self, Routledge, 2021
Small, Helen, The Long Life, Oxford UP, 2010
Yi Zhou 弋舟, 《空巢:我在这世上太孤独》, 上海文艺出版社, 2020
Photo "à la une" : Father by Luo Zhongli, oil painting, 280 x 178 cm, 1980 / Père de Luo Zhongli, peinture à l’huile, 280 x 178 cm, 1980