Appel à communication. Transferts matériels, discursifs et linguistiques dans le domaine du thé de 1856 à nos jours

11 October 2024 par Admin IAO
Colloque - Lyon, 19-20 juin 2025

Lieu : Manufacture des Tabacs (1 av. des Frères Lumière, 69008)
Co-organisation : Pierre-Yves Modicom & Cléa Patin
Laboratoires : Centre d’Études Linguistique (CEL) & Institut d’Asie Orientale (IAO)
Rendu des abstracts : une page, pour le 15 janvier 2025

Appel à communication en FDF Français | Anglais

Objectifs et périodisation

Ce colloque vise à explorer la place du thé dans nos sociétés, de manière transversale et internationale, pour la période moderne et contemporaine. Il aborde les aspects linguistiques et langagiers (évolution des terminologies, discours autour du thé), culturels (insertion du thé dans notre quotidien via les pratiques du boire et manger, culture matérielle afférente), mais aussi économiques (pratiques agricoles, échanges commerciaux), et politiques (notamment dans le cadre des processus de décolonisation). Les articulations entre ces différents champs seront privilégiées. Nous considérerons la période allant des années 1855-1858 à nos jours. En effet, à partir du milieu du XIXe, une césure s’opère dans l’histoire des flux commerciaux et culturels autour du thé, à travers la fin des guerres de l’opium (1856) et de la guerre de Crimée (1853-1856), l’ouverture contrainte et forcée du Japon au commerce extérieur (convention de Kanagawa en mars 1854), ou encore la révolte des Cipayes (1857), qui précipite la proclamation de l’Empire des Indes. La période moderne et contemporaine apparaît donc propice à une réflexion sur le thé, à la fois en tant que vecteur d’identité culturelle et/ou de transferts matériels et linguistiques.

Axe 1 : Transformation des pratiques de consommation : assimilation et appropriation du thé

Le thé, consommé en Chine depuis l’Antiquité, s’est diffusé au Japon et dans le monde arabe autour du IXe siècle, avant de gagner l’Europe, plus tardivement, vers le XVIe siècle. Aujourd’hui, il est la boisson la plus consommée après l’eau, par plus de deux milliards de personnes dans 125 pays. D’après la FAO (rapport de mai 2018, p. 2), la demande mondiale reste en hausse, tant dans les pays traditionnellement producteurs (Chine, Inde, Bangladesh), qu’au Brésil ou au Proche/Moyen Orient (Pakistan, Arabie Saoudite, Israël). L’Afrique de l’Est (Rwanda, Malawi, Ouganda) constitue un dynamique marché émergent. Partout, cette diffusion du thé s’est appuyée sur un (ré)ajustement du goût et des pratiques de consommation, qui allient plaisir gustatif, moments de partage et de convivialité, intérêt – ancien mais croissant – pour ses vertus curatives et recherche de distinction. De fait, l’accroissement de la demande, qui s’est effectué parallèlement à l’élévation du niveau de vie et l’urbanisation, s’accompagne de longue date de phénomènes d’esthétisation et/ou d’exotisation (même au Japon, la cérémonie du thé fait l’objet ces derniers temps d’un désir de réinvention), tandis qu’une attention croissante est désormais portée aux questions de commerce équitable et durable. D’autres pays ne semblent pas avoir développé ou devoir développer un attrait pour le thé ; on pourra donc aussi s’interroger sur les raisons de cette appropriation inégale et sur les aspects de la compétition avec d’autres boissons, comme le café.

Axe 2 : Discours du thé et des infusions

Sur le plan linguistique, ces questions pourront faire l’objet d’une analyse des terminologies, notamment du point de vue des emprunts (umami « saveur »). Une analyse discursive de prédicats dénotant un ancrage socio-historique de longue durée (« authentique », « original », « traditionnel ») soulève également de nombreuses questions, que ces labels soient appliqués à des thés non- transformés après leur exportation (fr. « thés d’origine ») ou plus encore qu’ils soient utilisés pour désigner des mélanges élaborés en Europe (all. « Original Ostfriesentee », angl. « Original blend » etc.). Quels contextes déclenchent l’usage de ces termes ? Quels patrons associatifs une analyse outillée permet-elle d’isoler ? Existe-t-il d’autres transferts lexicaux plus discrets visant également à « originaliser » des pratiques de consommation européennes ou américaines ? Trouve-t-on par exemple des références à une « cérémonie du thé » dans des régions euro-américaines censée évoquer une équivalence de tradition avec le Japon ? Ces transferts métaphoriques dans lequel le thé asiatique sert de domaine-source peuvent-ils s’étendre pour des boissons autres que l’infusion de la feuille de camelia sinensis ?

Axe 3 : Culture du thé, culture du vin : les pratiques agricoles et leur mise en discours

Face aux transformations de la demande, l’offre se doit de s’adapter, via un accroissement de la production, mais aussi une diversification des origines et des crus, dans une double optique de sécurité alimentaire et de développement durable. Cela impacte les pratiques sur le terrain (gestion soutenable des plantations, innovations pour favoriser le bio, etc.), mais également les stratégies commerciales (marketing sur de nouvelles gammes de produits, focalisation sur les jeunes). Un autre volet pourrait concerner les conditions de conservation du thé, qui ont fortement impacté sa diffusion à l’échelle planétaire.
Au plan discursif, le thé « d’origine » n’est pas qu’un domaine-source, il est aussi un domaine-cible. La terminologie y est en effet fortement marquée par des transferts de patrons issus du domaine de l’œnologie, à commencer par « grands crus ». On voit ainsi apparaître des « sommeliers de thé ». La description du goût et des senteurs du thé présente des similitudes constructionnelles fortes avec les patrons décrits pour le vin. Cependant, les communications sur les domaines-sources mobilisés dans les discours du thé ne se limiteront pas aux transferts depuis le domaine du vin. On s’intéressera notamment à la tension avec d’autres domaines-sources, en particulier le domaine botanique lié à la centralité de l’objet camelia sinensis : ainsi, le type de plant sera tantôt décrit comme un cultivar tantôt comme un cépage.

Axe 4 : Acheter et décrire les objets du thé : développement d’une riche culture matérielle

Le thé ne peut être limité à la boisson. C’est, comme nous l’avons vu, un vecteur de distinction, qui passe par une riche culture matérielle et par une mise en exposition : bouilloires, théières, samovars, bols, récipients, tasses (etc.), autant de productions tangibles, indissociables de la culture du thé et d’un discours ancré dans un contexte spatio-temporel déterminé. Pour le haut de gamme de la céramique, la production d’ustensiles s’ancre dans un savoir-faire ancestral et/ou dans des pratiques artistiques innovantes, qui constituent un véritable patrimoine culturel vivant. Ces biens font en  conséquence l’objet d’une évaluation sur le plan artistique (c’est le cas des ustensiles de la cérémonie du thé) et nourrissent des échanges commerciaux dynamiques, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, que l’on peut appréhender notamment dans les données du commerce extérieur, les expositions universelles ou les archives de maisons de ventes aux enchères. Comme d’autres biens culturels, ils sont sujets aux fluctuations de la mode (on pense notamment à la vague du japonisme). Dans les arts visuels, une attention particulière pourrait être portée aux moyens de publicité qui, à travers l’évocation du thé, peuvent contribuer à véhiculer des stéréotypes coloniaux ou à créer une culture orientaliste du thé.
La comparaison avec le vin trouve ici ses limites, y compris au plan discursif. Cependant, les discours spécialisés du thé ne se limitent pas à une appropriation langagière des caractéristiques sensorielles de l’infusion de camelia sinensis : on trouve également des discours spécialisés autour des objets du thé, et singulièrement des objets d’art. Le colloque sera donc ouvert à toute contribution relative à la terminologie et aux discours construits autour des ustensiles industriels et artisanaux formés à partir d’argile, de kaolin ou d’alliages fer-carbone.