Colloque – Esthétiques des modes d’autorité : culture matérielle et scénographie du pouvoir en Asie orientale (XVIIIe-XXIe siècles)

16 May 2023 par Admin IAO
Date : 1er et 2 juin 2023
Lieu : Collegium de Lyon
Adresse :
IAO : 15 parvis René Descartes, 69007 Lyon
Résidence du Collegium de Lyon : 2 allée de Fontenay, 69007 Lyon

Entrée libre sur inscription

Contact :
Olga Dror & Jérémy Jammes

L’objectif de ces deux journées d’étude est de proposer une réflexion globale à propos des modalités selon lesquelles l’autorité se légitime et se donne à voir au sein de l’ensemble de l’aire constituée par l’Asie Orientale. À cet effet, seront analysés divers marqueurs (vêtements, cérémonies, drapeaux, musées, films, musiques, tableaux, etc.) qui viennent illustrer ou compléter les expressions habituelles du politique (écrits, discours, etc.) depuis le niveau local jusqu’à celui de l’État-nation.

Cette rencontre vise ainsi à identifier la constitution, l’évolution et la mise en scène de ces symboles nationaux et/ou régionaux, ainsi qu’à repérer les circulations infra et extra asiatiques ayant inspiré ces grammaires non écrites du pouvoir.

Jeudi 1er juin

9h-9h30 Accueil, mots de bienvenue
Claude Chevaleyre (CNRS – IAO), Directeur adjoint de l’IAO

9h30-11h30 Langage vestimentaire du pouvoir
Président de séance : Jérémy Jammes

 Rémy Madinier (CNRS, IAO) – De la jubbah de Diponegoro au baju muslim de Jokowi : les usages politiques du vêtement en Indonésie

Assez tôt réglementé par un colonisateur avide de classifications ethniques et régionales, le vêtement a très tôt dit beaucoup du rapport à l’autorité dans les Indes néerlandaises. Procédant dans un premier temps d’une appropriation sélective de la culture matérielle coloniale puis d’un retournement de son esthétique, le nationalisme indonésien s’est progressivement construit une identité vestimentaire dépassant l’apartheid des apparences imposé par les Hollandais. À partir des années 1920, le costume national se fixe progressivement autour d’un accessoire masculin, la Peci. Après l’indépendance, cette toque de velours noire demeurera un invariant du vêtement présidentiel, accompagné, selon les périodes, de références militaires, populaires ou islamiques.

 Samia Kotele (IAO) – Historicité du genre en Indonésie : quand l’autorité des modes esthétiques dit le pouvoir (début xxe siècle à nos jours)

La chute du régime autoritaire de Soeharto ainsi que l’islamisation croissante des corps dans l’espace public en Indonésie ont suscité l’intérêt de nombreux chercheurs. L’analyse de ces phénomènes esthétiques à travers le prisme des compatibilités ou dichotomies opposant « l’Orient » à « l’Occident » tend à survoler l’histoire du corps féminin discipliné. Les objets de la culture matérielle constituent une ressource précieuse pour étudier l’autorité des normes esthétiques. Produits d’accoutumances ou d’hybridations culturelles, ces modes esthétiques et leur reconnaissance sociale laissent apparaître non seulement l’historicité du genre mais également du pouvoir. Le vêtement apparaît comme un marqueur central de l’autorité. À cet égard, la différenciation entre colons et indigènes se pense en premier lieu par l’inscription de l’altérité dans les systèmes esthétiques. L’imposition de la blouse pour couvrir la poitrine des femmes balinaises s’inscrivait par exemple dans le rôle civilisationnel du colonisateur. Lors de l’indépendance, les codifications de l’uniforme des épouses des dirigeants firent du corps féminin l’ultime symbole de la nation, attribuant aux femmes le rôle de « reproductrices biologiques de la nation ». Les différents projets politiques s’inscrivent ainsi dans les modes esthétiques où les normes de beauté expriment différentes loyautés nationales, confessionnelles, culturelles permettant ainsi de tracer les frontières entre le « nous » et l’« autre ». À travers une étude de la culture matérielle, nous aborderons dans une approche historique à la fois le hiatus entre les discours et les pratiques des modes esthétiques du corps féminin, et les formes de réappropriation à l’œuvre.

10h45-11h Pause-café

 Emmanuel Lincot (Institut catholique de Paris, IRIS) – Langage vestimentaire et langage des corps en Chine, depuis le mouvement du 4 mai 1919 jusqu’à nos jours : sémiologie des formes et symbolique du pouvoir

Comment est-on successivement passé, en un siècle, de la robe du lettré au costume cravate, à la robe qipao puis à l’uniformité unisexe du costume Mao ? Que nous dit Jiang Zemin en arborant une veste en soie se réclamant d’une tradition qui n’en est pas moins totalement réinventée à l’occasion du sommet de l’APEC en 2001 ? Que nous disent les choix de ces signes, dans la posture des corps comme dans la virilité du discours, ou dans le rapport au monde et à l’histoire ? Loin de relever de l’anecdote, c’est une histoire culturelle et une anthropologie du pouvoir qu’il nous reste à écrire par ce biais pour comprendre les mutations de la société chinoise durant près d’un siècle.

 Déjeuner

14h00-15h00 Visite des collections de l’IAO

15h00-15h15 Pause-café

15h15-16h30  Propagande filmique
Président de séance : Arnaud Nanta

Corrado Néri (Université Jean Moulin Lyon 3) – Le drapeau et la légitimité : les superproductions filmiques chinoises entre propagande et spectacle

En Chine, comme ailleurs, le cinéma raconte des histoires ; principalement. Il existe, il est vrai, des fenêtres ouvertes sur d’autres horizons, à savoir le cinéma expérimental, d’avant-garde, de recherche – des choix qui se concentrent sur les spécificités du médium, comme le montage ou les visuels, et qui recherchent des sens et des affects au-delà (avant ou après ou entre les deux) du message souvent inhérent à l’évolution personnelle des protagonistes. Mais, comme ailleurs, le cinéma en Chine est avant tout narratif et il doit répondre aux diktats étatiques qui régulent son discours. La situation de la Chine est toutefois spécifique dans la mesure où la structure éléphantesque de la production cinématographique oscille entre la nécessité de créer un soft power à usage interne et externe, tout en restant strictement contrôlée par le Bureau du cinéma. En analysant la récurrence quasi obsessionnelle du drapeau national dans des films aux récits contemporains comme Wolf Warrior (titre repris par les journalistes pour parler des faucons de l’administration Xi) ou My People, My Country, ou encore les films sortis à l’occasion de l’anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, nous verrons comment ces œuvres racontent la maîtrise technique absolue de l’industrie chinoise, laquelle produit aujourd’hui des blockbusters impeccables ; elles racontent aussi la capacité du gouvernement à fédérer les professionnels les plus importants de l’industrie (acteurs et actrices, réalisateurs et réalisatrices) uni.es dans un chœur synchrone de fierté et d’orgueil.

 Jérémy Jammes (IEP de Lyon, IAO) – Les Échos du Minaret : un film-monument pour un micro-État musulman brunéien

Trois mois après le couronnement du jeune sultan Haji Hassanal Bolkiah, le premier long métrage de Brunei, Gema Dari Menara (1968), est présenté au public. La trame de ce mélodrame familial, commandité par le Département des Affaires religieuses, repose sur une série de tensions au sein d’une classe moyenne émergente, mettant dos à dos une piété musulmane conservatrice et la sécularisation/occidentalisation du Brunei, alors sur le chemin de l’indépendance (1984). Cette présentation reviendra sur le scénario et les personnages de ce film de propagande qui balise un moment clef dans l’histoire socio-économique du pays et la mise en place de son idéologie d’État.

Vendredi 2 juin

9h20-12h Cultures matérielles et spirituelles du politique
Présidente de séance : Claire Vidal

Marie-Sybille De Vienne (INALCO, CASE) – Impermanence du roi, pérennité du royaume : les funérailles de Rama IX en octobre 2017

Les funérailles royales mettent en scène un rite de passage transformant le roi défunt en un esprit tutélaire protecteur du royaume et de la dynastie. Effectué une dizaine de mois, voire plus, après le décès du souverain, il se lit au premier degré comme la crémation du corps physique du Roi, déposé au sommet d’une tour représentant le mont Meru, dont les éléments décoratifs sont tirés de la cosmogonie bouddhique du Traibhūmi (Les Trois Mondes), l’un des textes fondateurs du bouddhisme siamois. Son ordonnancement peut s’interpréter comme le symétrique inverse de celui du couronnement, opposant par exemple le « plein » du Grand Palais où le Roi est couronné au « vide » de l’esplanade de Sanam Luang où il est brûlé. Par-delà, c’est la cité royale tout entière qui est sacralisée, via la répartition des cendres mêlées de fragments osseux du roi défunt entre les grands temples royaux et, métaphoriquement, le royaume tout entier par le rejet de celles des « fleurs de santal » dans les rivières qui le constituent.

Vanina Bouté (EHESS, CASE) – Entre poteaux rituels de fondation (lak müang) et stupa : réutilisation de marqueurs de la légitimité en RDP Lao

Plusieurs travaux se sont intéressés aux mises en scène du pouvoir politique en RDP Lao, montrant comment les plus hauts cadres du Parti unique du pays puisaient dans un ancien répertoire royal et bouddhique pour donner à voir une légitimité. On rappellera les différentes évolutions de ces marques de légitimité au cours des vingt dernières années, mettant en perspective les manifestations matérielles du pouvoir au niveau de l’État avec celles utilisées au niveau local (provinces et districts).

 10h30-10h45 Pause-café

 Elsa Clavé (Université de Hambourg, CASE) – Entre tradition et emprunts : l’esthétique de l’autorité des sultans de Sulu aux Philippines (xixe-xxie siècles)

Ma communication porte sur la stratégie utilisée par les sultans de Sulu pendant deux siècles (xixe-xxie) pour affirmer leur statut et leur autorité, de leurs costumes aux symboles utilisés. Ce faisant, l’étude met en évidence comment la tradition utilise des matériaux, des symboles et des rites anciens du sud des Philippines, tout en en incorporant d’autres qui appartiennent à la langue héraldique européenne pour étendre le vocabulaire symbolique de l’autorité et du pouvoir. La mobilisation de sources écrites et visuelles démontre comment la maison royale s’adapte à l’évolution des situations politiques locales et internationales. Les cas de comparaison des xixe et xxie siècles éclairent l’évolution des usages diplomatiques et contribuent à une meilleure compréhension de la culture politique du Sultanat de Sulu.

Florence Galmiche (Université Paris Cité, CCJ) – Esthétique monastique et réformes du bouddhisme coréen au xxe siècle

La présentation porte sur la manière dont le clergé et les institutions bouddhistes en Corée du Sud ont affirmé leur supériorité et leur distance vis-à-vis de la religion populaire, notamment de ce qui est aujourd’hui qualifié de chamanisme. Les moines en Corée avaient un statut social très bas du xve siècle à la fin du xixe siècle et de nombreux réformateurs ont cherché à redéfinir leur statut et leur autorité au xxe siècle. Il s’agira de réfléchir aux dimensions esthétiques et rituelles de ces projets de réforme du statut monastique : en particulier à l’attention accordée à l’aspect des moines (systématisation du vêtement et de nouveaux signes distinctifs comme le chapeau), à la codification rituelle de leurs interactions avec les laïcs (prosternations lorsqu’un laïc salue un moine, par exemple) et à la place donnée aux représentations visuelles d’entités classiques dans le bouddhisme coréen, mais associées à la religion populaire (Esprit de la montagne ou Pindola Bharadvaja par exemple).

Déjeuner

14h30-16h Lieux de mémoire et de pouvoir
Président de séance : François Guillemot

Arnaud Nanta (CNR, IAO) – La place du sanctuaire Yasukuni au sein du culte japonais des morts à la guerre

De 1879 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le sanctuaire Yasukuni, à Tōkyō, a couronné le dispositif japonais de commémoration des soldats tombés pour le Japon impérial. Ce sanctuaire, transformé en institution privée après la guerre, continue aujourd’hui de commémorer les morts dont il a la charge, de façon parallèle aux nouvelles cérémonies officielles mises en place en 1952. Dans cette présentation, on analysera la nature des commémorations réalisées pour ces « morts pour la patrie », ainsi que la dimension plurielle de débats qui convoquent avec insistance le passé colonial au présent. Au-delà, on tentera une réflexion plus globale sur les institutions sacrificielles mises en place au sein des États-nations au xixe siècle.

Olga Dror (Texas A&M University, Collegium de Lyon) – Monumentalisation de la modestie : l’esthétique du culte de Ho Chi Minh

La modestie de Ho Chi Minh, que ce soit dans sa vie privée ou dans sa vie d’homme d’État, a été monumentalisée au Viêt Nam par le biais de livres, de photographies, d’affiches et de films. Bien qu’à première vue l’idée de « monumentalisation » ne soit pas nécessairement compatible avec celle de « modestie », je démontrerai que les deux idées ont créé ensemble une symbiose politiquement et socialement efficace au Viêt Nam. J’aborderai la question de la paternité de cette monumentalisation, ses principales caractéristiques et les raisons qui la sous-tendent.

Commentaires et discussion – Yves Goudineau (EFEO)

Conclusion finale – Jean-Michel Roy (Collegium de Lyon)